Béton Granite

Zine de photographies argentiques, tirages d'exposition. En collaboration avec Marion Moulinou.

Date2022
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Béton Granite est un projet d’édition né pendant la deuxième vague de COVID19, qui a d’abord pris la forme d’un fanzine puis d’une exposition. Les confinements consécutifs, les couvres-feu, les limites de distance avaient réduit pendant des mois nos déplacements à des trajets utilitaires, modifiant discrètement notre rapport au paysage. Qu’il soit urbain ou rural, nous avions cessé de l’occuper, de l’observer pour seulement le traverser ou même le déserter dans certaines zones.

En été 2021, quand nous avons pu réinvestir ces espaces délaissés, j’ai retrouvé la montagne. La zone pastorale du Pic de la Clique, dans les Hautes-Pyrénées, s’est présentée à moi d’une façon inédite. Ce paysage exploité pour l’élevage de vaches, de moutons et de chevaux, sans cesse parcouru par les randonneurs, est éminemment modifié par l’homme. Bien que situé en montagne, il n’est donc en rien un paysage “naturel “.

Ce jour-là pourtant, les ronces jaillissaient de ce qui était un chemin. Des arbres morts, arrachés par le vent, avaient été laissés sur place. Sans la présence régulière du bétail, les herbes hautes avaient eu la chance de pousser. J’étais face à un paysage qui semblait venu d’un temps plus ancien et qui pourtant n’avait certainement encore jamais existé. Pour représenter ce paysage, j’ai choisi une pellicule infrarouge qui permet de capter des nuances de vert que l’œil humain ne perçoit pas de prime abord. J’y ressentais un parallèle fort avec le traitement qu’on réserve à ces zones d’exploitation et de passage, qu’on voit sans les regarder, sans en mesurer la beauté.

Ce film particulièrement fin s’est coincé dans mon appareil au moment de le rembobiner. Procédant donc à cette opération manuellement, j’y ai apposé malgré moi des marques de doigts, d’ongles, de plis… Comme un acte manqué pour montrer cet espace abîmé, griffé, sur un film faussement vieilli et le plonger dans le domaine du lieu fantasmé.

Le fantasme du paysage. Pendant des mois, à défaut de les voir et de les occuper, nous avons imaginé des espaces qu’on ne pouvait plus rejoindre, rêvé de randonnées impossibles. Nous avons été abreuvés d’images d’animaux sauvages réinvestissant des lieux touristiques ultra-fréquentés. Nous les avons inconsciemment connectées à des récits de science-fiction décrivant des villes futures. Une couche onirique, comme un calque, s’est ajoutée à l’image que nous nous faisions d’un paysage, venant peut-être transformer durablement la perception que nous en avons aujourd’hui, préparant un autre rapport aux espaces, urbains comme ruraux.

Retrouvez le travail de Marion Moulinou sur son site et sur instagram.

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